La forge : La forge est un abri d'aspect sobre fait
d'un toit de chaume et de poutrelles qui reposent sur un muret de
pierres. Ce type de construction s’appuie souvent contre une paroi
rocheuse. C’est le lieu de travail du forgeron et de ses apprentis. On
entend de loin le bruit du marteau qui frappe l'enclume et le son du
soufflet qui active le feu. Les forgerons forment des castes endogames
qui vivent en marge de la société dogon. Ils ne se marient pas avec
quelqu'un d'extérieur à leur communauté. Les forgerons se divisent en
castes distinctes dont les principales sont celles des Jèmèm et des
Irim.
Les Jèmèm occupent principalement la plaine du Séno. Ils plongent leurs
racines dans un lointain passé et n’appartiennent à aucune ethnie en
particulier. Réputés pour leur haute technicité, ils maîtrisaient
l'extraction et la fonte du minerai de fer depuis fort longtemps. Cette
industrie a disparu vers la fin des années 1940. La période coloniale a
facilité l'accès à d'autres sources d'approvisionnement. Le Yatenga
(Burkina Faso) des débuts du 2e millénaire atteste déjà d'une activité
métallurgique attribuée aux Kibse/Dogon. Du temps des conquêtes songhay
et mossi, une pratique courante consistait à détourner des forgerons de
leur village d'origine pour les réinstaller ailleurs en territoire
conquis. Leur savoir-faire en matière de fabrication d'armes et
d’outils agricoles était vital pour les nouveaux conquérants.
Aujourd’hui, au Yatenga, divers clans forgerons comme les Giti et les
Zorom prétendent descendre des Dogon. Leur histoire relate de nombreux
cas de persécution et d’asservissement.
Il est dit que les Dogon de la falaise et du plateau en manque de
forgerons, se sont tournés vers les Jèmèm de la plaine pour apprendre
le métier de la forge. Ils travaillaient le fer brut qu'ils achetaient
auprès de ces derniers. La réalité historique semble beaucoup plus
complexe. Les Irim sont d'anciens cultivateurs dont les origines ne se
limitent pas aux seuls Dogon issus de la migration du Mandé. Leur caste
se compose aussi d’un fonds autochtone et de populations originaires
des rives du Niger. Les chercheurs de la MAESAO (Mission Archéologique
et Ethnoarchéologique Suisse en Afrique de l’Ouest) soutiennent aussi
l’idée d’une présence Bwa parmi les anciens forgerons qui habitaient le
plateau. La région est riche en anciens sites de production
sidérurgique. Des amas de scories et des restes d'anciens fourneaux en
terre révèlent leur présence. L’archéologie situe les débuts de cette
industrie sur le plateau vers le 6e siècle de notre ère. Cette activité
va s’intensifier dès le 11e siècle. Ce ne sera qu'à partir du 16e
siècle, suite à l'expansion territoriale des cultivateurs dogon, que la
caste des forgerons Irim prendra forme (Pour une étude approfondie des
forgerons en pays dogon, voir la thèse de Caroline Robion-Brunner, «
Forgerons et sidérurgie en pays dogon. Vers une histoire de la
production du fer sur le plateau de Bandiagara (Mali) durant les
empires précoloniaux »).
Aujourd’hui, les Irim fabriquent des houes, des haches et des armes,
dont des fusils à silex. Ils travaillent aussi le bois. C'est parmi eux
qu’il faut chercher les grands sculpteurs dogon. On leur attribue aussi
des pouvoirs de guérisseur. En tant que « maître du feu », un forgeron
soigne des brûlures. Une tradition dit qu’il lave son marteau et son
enclume dans une eau à laquelle il ajoute de l’huile de sésame et
applique la mixture sur la plaie du blessé. Il intervient aussi comme
médiateur pour régler des différends entre villageois, une
responsabilité qu'il partage avec le hogon. Mais tandis que ce dernier
a un pouvoir de décision propre à trancher tout litige, le forgeron se
limite à négocier une solution qui convienne aux parties en conflit.
Son statut d’homme de caste est le gage de sa neutralité. Il n’a pas de
liens parentaux susceptibles d’influencer son jugement. La société
dogon est patrilocale. Les hommes naissent, vivent et meurent dans leur
village d’origine. Il en va autrement pour les membres d’une caste. Les
forgerons ne résident pas nécessairement dans les villages dont ils
sont originaires. Ils s'installent là où une place de forgeron se
libère. Par contre, un forgeron reprend souvent le patronyme de son
village d'adoption. Du fait de leur antériorité sur le territoire et de
leur statut de maîtres parmi les forgerons, un Jèmène peut à tout
moment prendre la place d’un Irine, une décision à laquelle ce dernier
doit se soumettre.
Au vu de la mobilité des forgerons à travers le temps et l'espace, l’on
peut se demander quel est l'impact qu'ils ont eu sur l'évolution de la
culture matérielle dogon. Aussi, leur diversité ethnique
n’explique-t-elle pas la variété des styles et les nombreuses sources
d’inspiration (djennenke, tellem, bambara) de la statuaire dogon ? Les
forges ont un air modeste et discret, mais les créations artistiques
qui en proviennent sont une des manifestations les plus éclatantes de
l'univers cultuel dogon.
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The smithy :
The smithy is a sober looking shelter consisting of a thatched roof
resting on a piled up stone wall. It often leans on one side against a
natural rock outcrop. It is the working place where the blacksmith and
his apprentices practise their craft. One can hear from far away the
noise of the hammer that hits the anvil and the sound of the bellows
that blow up the fire. Blacksmiths form endogamous castes that live on
the fringe of Dogon society. They do not marry people outside their
community. Blacksmiths are subdivided into distinct castes, the Jèmèm
and the Irim being the principal ones.
The Jèmèm live mainly in the Seno plain. They plunge their roots in a
faraway past and do not belong to any ethnic group in particular. Known
since ancient times for their mastery, they were highly skilled in
extraction and smelting techniques of iron ore. But colonial times gave
access to other sources of supply and the trade of iron processing
subsequently came to a halt by the late 1940s. The Yatenga (Burkina
Faso) of the early 2nd millennium witnessed an intense metallurgical
activity that is ascribed to the Kibse/Dogon. At the time of the
Songhay and Mossi conquests, it was usual to remove blacksmiths from
their home villages and settle them down elsewhere in conquered
territory. Their know-how in manufacturing weapons and agricultural
tools was vital to the new ruling powers. Today in the Yatenga, various
clans of blacksmiths, such as the Giti and Zorom, say they descend from
the Dogon. Their history refers to cases of persecution and enslavement
at the hands of the Mossi invaders.
The Dogon of the plateau and the escarpment lacked in blacksmiths. It
is said that they turned to the Jèmèm of the Seno plain to learn the
trade of blacksmithing. They used pig iron which they bought from the
latter. Historical reality, however, seems more complex. The Irim
descend from ancient farmers whose origins are not limited to the
Dogon-Mande alone. Their caste is also composed of an indigenous
substrate and of former river populations. The researchers of the
MAESAO (Mission Archéologique et Ethnoarchéologique Suisse en Afrique
de l’Ouest) also support the idea that the Bwa people were part of the
early blacksmiths who populated the plateau. The area counts many
ancient iron ore extraction sites. Slag heaps and remnants of old
earthen furnaces reveal their presence. Thus far, archaeological
research has established that the beginnings of this regional industry
go as far back as the 6th century A.D. This activity will further
develop from the 11th century onwards. The caste system of the Irim
blacksmiths will emerge in the wake of the territorial expansion of the
Dogon cultivators during the 16th century (For a detailed study on
blacksmiths in Dogon country, see the thesis of Caroline
Robion-Brunner, « Forgerons et sidérurgie en pays dogon. Vers une
histoire de la production du fer sur le plateau de Bandiagara (Mali)
durant les empires précoloniaux »).
Today, the Irim manufacture hoes, axes and arms such as flint rifles.
They also work wood. It is among them that the great Dogon sculptors
are to be found. But apart from their craftsmanship with iron and wood,
they are also credited with healing powers. As a « master of fire », a
blacksmith treats burn injuries. According to one tradition, he washes
his hammer and anvil with water, mixes it with sesame oil and rubs the
mixture on the wound of the injured. Blacksmiths also intervene as
mediators in conflicts that arise among villagers, a responsibility
they share with the hogon. But whereas the latter has the power to
decide on the outcome of a dispute, a blacksmith can only but negotiate
a solution convenient to all parties. His status as a cast member is
proof of his neutrality. He has no parental links that could influence
his judgment. Dogon society is patrilocal. It means that men are born,
live and die in their village of origin. This is not so for caste
people like blacksmiths who do not necessarily live and work in their
home village. They will settle in a village with an opening for
employment. They often take over the patronymic name of their village
of adoption. Because of territorial precedence and higher status among
all other blacksmiths, a Jèmène is free to take over a job held by an
Irine. A decision the latter can only but accept.
In view of the blacksmiths' mobility in time and space, one wonders
what was their real impact on the evolution of Dogon material culture.
Their ethnic diversity has been essential in the development of the
many styles that form the corpus of Dogon statuary. Djennenke, Tellem
or Bamana influences are ever-present. The blacksmith's working place
may have an unassuming look, the artistic creations that have been
produced there are among the most dazzling manifestations of the Dogon
cult system.
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